

Gravure de Lima de Freitas
Don Quichotte
comme Voie d'éveil
Don Quichotte comme voie d’éveil. Eloge de la Chevalerie errante
Rémi Boyer
Don Quichotte est tout à la fois un personnage populaire, présent peu ou prou dans nos imaginaires, et le compagnon de route de tout individu qui s’engage résolument dans une queste initiatique. Nous devons à Dominique Aubier (1922-2014) une remarquable exégèse, principalement kabbalistique, mais pas seulement, du Don Quichotte de don Miguel de Cervantes de Saavedra (Alcala de Henares, 1547-Madrid, 1616) et à Charles van der Linden d’Hooghvorst (1924-2004) une exégèse alchimique tout aussi érudite et pertinente de ce livre parmi les plus traduits et publiés au monde.
Cet ouvrage propose un troisième regard traditionnel sur cette œuvre magistrale, celui des voies d’éveil. En effet, il paraît d’évidence, après plusieurs lectures du livre, que parmi tout ce que le texte peut dire à un enfant comme à un érudit, il s’adresse aussi et peut-être avant tout, malgré les apparences, à ceux qui entreprennent, à leurs risques et périls, le voyage initiatique qui fonde les traditions de tous les continents, à condition toutefois de se souvenir de cet avertissement que m’a donné un jour Dominique Aubier et qu’elle répétait avec raison et passion : « Le Quichotte ne veut plus que l’on rit de lui ». Joséphin Péladan avait déjà averti : « La gloire de Cervantès brillera d’un nouvel éclat, le jour où, après rire, quelqu’un découvrira que sa Comédie humaine est, philosophiquement, la Bible du Pessimisme. »
éloge de la Chevalerie errante
Il ne s’agit pas de restituer la vie pleine de rebondissements et d’imprévus de Cervantes ni même la genèse de son œuvre majeure mais de naviguer sur l’océan des mots pour découvrir où il nous conduit et par quelles voies, pour traquer ce qu’il révèle. Si l’Université présente souvent le texte comme une critique de la chevalerie par une parodie de ces romans de chevalerie encore à la mode à la fin du XVIe siècle, nous considérons plutôt que l’ouvrage défend et exalte la chevalerie initiatique, usant du principe hermétiste du renversement dionysiaque qui veut que l’on dénonce, ou que l’on moque, ce que l’on promeut. Si Cervantes dénonce bel et bien les surenchères romanesques trop présentes dans les romans de chevalerie c’est pour réaffirmer la valeur intrinsèque de la chevalerie comme idéal, comme art de vivre et comme ordre immuable. Cervantes, comme Rabelais, écrit « à rebours ».
La première partie, burlesque, relève de la voie du blâme ou malâma, dans sa version « extravertie ». Sancho Panza comme Don Quichotte, quoique ridiculisés en maintes occasions, ne cessent pourtant de se libérer des entraves du moi. A force (et « à farce ») de se retrouver nus face à autrui comme face à eux-mêmes, le lâcher-prise s’impose naturellement.
Dans la deuxième partie, la dimension comique devient secondaire, Don Quichotte et son disciple-écuyer Sancho, affirment de plus en plus leurs qualifications et, surtout pour Don Quichotte, une réelle profondeur de vue et de pensée, une réelle maîtrise, une sagesse, certes décalée, qui rappelle celle des moines fous des nombreuses traditions de tous les continents. Nous passons du blâme à l’éveil. Le renversement ne se manifeste pas d’emblée, il émerge discrètement, par des rétro-lectures qui permettent les recadrages de sens. Si le voyage initiatique des deux compères se cantonne à un espace géographique restreint, c’est bien toute l’humanité, nous sommes au cœur du siècle d’or espagnol, que leurs aventures concernent. Toute voie d’éveil est à la fois universelle et absolument singulière. Et singulière, la voie de Don Quichotte l’est pour sûr.
Don Quixote de la Mancha, le chef d’œuvre de Miguel de Cervantes, se révèle au lecteur attentif comme un véritable trésor initiatique. Si l’Université présente souvent le texte comme une critique de la chevalerie par une parodie des romans de chevalerie encore à la mode à la fin du XVIe siècle, nous considérons ici que, tout au contraire, l’ouvrage défend et célèbre la chevalerie initiatique. Miguel de Cervantes, tout comme François Rabelais, use du principe hermétiste du renversement dionysiaque qui veut que l’on dénonce, ou que l’on moque, ce que l’on promeut ou exalte.
Derrière le comique, ce sont tous les principes et les nuances d’une chevalerie comme voie d’éveil qui émerge depuis l’Imaginal. Signes, symboles, mythèmes et jeux de langue se mêlent subtilement pour nous livrer un enseignement initiatique magistral à la croisée de la métaphysique non-duelle, de la kabbale et de l’hermétisme.
Sont convoqués dans ces pages des regards qui libèrent : celui d’une spiritualité laïque, affranchie du poids des institutions, des codes et des normes de la mondanité ; celui du voyage initiatique, une folie qui affranchit ; celui de la chevalerie errante, qui échappe à toute tentative d’organisation, seule véritable chevalerie initiatique ; celui des alchimies internes, celui de l’Amour courtois, l’Amour in fine sans objet ; celui du couple comme voie d’éveil, celui de la Femme, libre, secrète, sacrée, initiatrice originelle et ultime, Mystère des mystères qui imprègne le Don Quixote de la Mancha.


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